KTM Rally Romania 2025

Du Gaz!

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Le voyage en chiffres

Saison 8

Episode III

Introduction

À peine l’arrivée du rallye portugais franchie, mes pensées filaient déjà vers l’édition 2025. L'épreuve 2025 se nichera au cœur de la Roumanie, dans la région de Sibiu. Conscient du nombre restreint de places offertes, je scellais mon inscription dès la fin novembre 2024. Un acte solennel qui lançait un compte à rebours vers cette nouvelle odyssée.

Bruno Vincent Si les pistes portugaises avaient opposé une belle résistance — et le résumé sur YouTube en garde la trace éloquente — l’épreuve roumaine se dessine dans mon esprit comme une fresque grandiose, tissée d’efforts héroïques, d’émotions brutes et de paysages à couper le souffle. Le calendrier s’étire et, avec lui, cette aventure se profile telle un phare sur ma ligne d’horizon. Comme une évidence, Vincent se joindra à moi, fidèle comme il le fut lors de notre périple albanais. Sa présence dépasse celle d’un coéquipier : il est l’ami, le frère d’armes, le confident des failles et des exaltations. Ensemble, en moto, nous avons affronté tracasseries et éclaircies, bivouacs austères et joies simples. Son arrivée annonce toujours une route plus douce. L’alchimie forgée dans la poussière albanaise promet de se raviver sur les pistes roumaines : chacun connaît les forces de l’autre, les fragilités à protéger, les mots qui rallument le courage aux heures sombres.

Début avril, en guise de préparation comme l’an passé, Vincent et moi suivons un stage de remise en condition avec Vincent Biau (alias Petokask), histoire d’affûter nos armes. Sur le terrain de moto cross d'Hermonville, non loin de Reims, nous lançons notre entraînement : pilotage de précision, exercices d'agilité, virages serrés ... Le sol, tantôt dur, tantôt meuble, impose respect et vigilance, façonnant nos réflexes. Entre buttes abruptes et courbes piégeuses, nous apprenons à anticiper, ressentir, dompter peur et excitation. Peu à peu, le pilote hésitant cède la place à un pilote aguerri, façonné par la répétition, la sueur et, parfois, la douleur.

Avant le grand départ, la révision des motos devient un ballet méthodique, un rituel rassurant. L’esprit fuit déjà vers les sommets roumains. Nos motos sont affûtées comme des katanas. Nos pneus sont prêts à mordre rocaille et boue, à affronter un terrain semé d’embûches et de pièges insoupçonnés. La préparation est un art autant qu’une science : anticiper le chaos, mais aussi accueillir l’imprévu.

J-5 : le compte à rebours est enclenché. L’inventaire défile dans ma tête, l’excitation monte. Vincent m’envoie déjà des messages, partage ses préparatifs, ses choix. Les préparatifs ont leur propre beauté : ce moment où tout est encore possible, où la route s’ouvre comme un horizon vierge, où tout reste à écrire.

H-24 : à l’heure où la lumière décline, je me surprends à rêver des paysages roumains. Les Carpates en sentinelles, les prairies infinies, les villages aux toits colorés, les forêts énigmatiques où le vent vient chuchoter des mystères. J’imagine déjà les heures de lutte, la poussière collée à la peau, la boue qui alourdit chaque geste, et la joie de se dépasser. Mon fil rouge : l’adage « I will, I do - end of the story ».

Le Rallye KTM Roumanie 2025 n’est pas qu’une épreuve : c’est un voyage intérieur, un dialogue entre toi et la moto, une aventure qui s’écrit directement sur la piste.

Le voyage

À sept heures précises, le Luxembourg s’effaçe derrière nous, encore plongé dans sa fraîcheur feutrée matinale et encore un peu assoupie. Notre route, telle un ruban gris, s’étire devant nous vers le sud-est jusqu’à Vienne. L’Allemagne s’ouvre à nous dans une succession de paysages variés.

Pour cette journée de transition, Vincent assure le service de chauffeur dans son carrosse tout neuf. À bord, c’est Byzance! Une orgie de technologie décore le tableau de bord, comme cet écran long comme mon bras qui affiche des informations à foison; un univers capable de faire « crawler » un geek dans le bonheur. Je profite de ce confort inouï et du silence digne d’une voiture de maître pour me reposer. La route se ponctue, par instants, d’un rapide répit dans une stations-service, pour ravitailler notre carrosse et nous permettre d’engloutir un café ou un encas.

L’Allemagne une fois engloutie par notre ogre de la route, la frontière autrichienne se dessine presque imperceptiblement devant nous. Le ciel d’un bleu limpide, nous accueille, et la lumière cuivrée du soir caresse sans fin ces doux paysages vallonnés. Pour nos motos, c’est aussi le frisson du retour sur leurs terres natales.

L’arrivée à l’hôtel se fait dans la sérénité d’une étape sans accrocs, portée par le confort et la maîtrise d’un pilote attentif. Derrière nous, notre attelage, fidèle compagnon, a suivi sans faillir. Demain, une dernière étape nous conduira vers Sibiu.

Dans un dernier adieu bienveillant, nous laissons Vienne derrière nous sous un ciel d’un azur éclatant. La Hongrie s’ouvre bientôt devant nous : longue plaine monotone, infinie respiration de terres brûlées où les tournesols figés sur leurs tiges, portent leurs visages noircis au charbon. Le maïs jauni craque sous un soleil implacable. Puis, la route bascule vers la Roumanie.  A l’approche de Sibiu, le paysage se relève, se plisse en collines d’un vert plus généreux et, au loin, comme un aimant, se dessine notre futur terrain de jeu. L’excitation enfle.

Arrivée à Sibiu : c’est le rituel des arrivées — déposer les motos, garer la remorque, s’enregistrer, vider les bagages, retrouver les camarades de jeu de l’an dernier, ressentir l’esprit de la famille « orange ». La journée se scelle enfin autour d’une bonne table, où un vin élégant (1000 de Chipuri – 2021) vient marquer la fin d’une étape et annoncer le prochain chapitre de ce voyage.

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03) 25.08.2025 - Sibiu - Repos

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Ma moto étant prête, je profite de cette journée de repos pour entreprendre une rapide visite de la ville. Sibiu et ses ruelles pavées qui serpentent entre des façades pastel aux lignes rigoureuses, témoignent d’une rigueur architecturale héritée des Saxons. Mais, ce sont surtout ses toits qui captivent — percés d’étranges lucarnes en amande, semblables à des yeux mi-clos. On marche dans Sibiu avec la sensation d’être observé en silence, d’être lu ou deviné. C’est une ville qui ne se contente pas d’être belle : elle vous murmure que l’élégance peut être une forme de vigilance.

La douceur de cette fin d’après-midi s’attardait lorsque nous avons immortalisé l’instant par la traditionnelle photo de groupe. Un rituel immuable, presque solennel, qui marque le passage vers la soirée.

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Celle-ci s’ouvrit sur la présentation des invités d’honneur. Cette année, le destin a placé sur notre route deux figures légendaires du rallye tout-terrain : Daniel Sanders, vainqueur du mythique Dakar en 2025, et Canet, triomphateur en catégorie Rally 2. Pour les non-initiés, ces noms résonnent peut-être comme ceux de simples quidams; mais pour les passionnés de moto, ils incarnent des icônes (champions du monde). Des visages que l’on aperçoit ordinairement à travers l’écran d’une télévision ou figés dans l’éclat glacé des pages des magazines. Un autre aspect s’imposait avec la force de l’évidence : la connivence subtile unissant les pilotes à Michael Wagner-Meingassner "le boss", que révèle avec éclat la frontière ténue qui séparant un bon « team » de ces relations d’une intensité presque fusionnelle.

Lorsque Sanders prit la parole, le silence se fit dense, presque palpable. Ses mots, dénués d’artifice, portaient une sincérité rare. Il parlait avec cette simplicité désarmante qui rapproche les hommes, avec cette accessibilité qui efface les distances, et avec cette intensité émotionnelle qui laisse une empreinte durable. Son récit sur l’art délicat de la navigation en rallye fut un moment suspendu : il y dévoilait, sans détour, la vulnérabilité de l’homme face à l’immensité du désert et à l’implacable exigence de la course. La grandeur de l’homme est aussi dans l’intelligence et l’autodérision, notamment l’origine de son surnom “Chucky”, moment désopilant.

Au terme de la soirée, le décor des jours à venir est désormais planté. Tout est en place, et je m’apprête à m’endormir, le cœur émerveillé, avec juste ce qu’il faut de tension pour être prêt à plonger dans l’aventure. Mais c’était sans compter l’imprévu : une rage de dents implacable, qui me saisit au milieu de la nuit et ne me lâche plus jusqu’à l’aube. Impossible de retrouver le sommeil. Dans le silence de la nuit, il ne reste qu’à attendre la matinée.

Au lieu de me lancer sur ces routes poussiéreuses, ma quête improbable est de trouver un dentiste — l’occupation rêvée, bien sûr, lorsque l’on est en vacances… Mon temps étant englouti par cette mission, je cède ma place à Vincent, dans le groupe 3 des “barés”, pour la sortie du matin. Après le courage des soins, vient l’épreuve d’acheter des antibiotiques. En Roumanie, cela relève presque du parcours du combattant, car il faut fournir le numéro d’identification d’une carte d’identité roumaine, ce qui est assez compliqué pour un étranger. La pharmacienne a utilisé ses coordonnées personnelles pour sortir de cet imbroglio. Une fois cet épisode à la fois burlesque et agaçant derrière moi, je file directement au déjeuner.

Le restaurant est un enchantement, la gastronomie un tableau de saveurs et de couleurs. J’attends Vincent, qui revient fourbu d’une matinée que tout le monde décrit comme épique. L’unanimité est faite : la « piste facile » avait, en réalité, des accents de « furieusement compliqués ».

Bruno À peine remis — ou du moins en partie — de mes aventures médicales, Vincent et moi décidons de parcourir en binôme la piste de la fin de journée avant de regagner l’hôtel. Entre champs et forêts, la navigation sur un réseau de sentiers qui s’entrecroisent à l’infini, se révèle un moment intense. Pour une reprise, je trouve que je me sors honorablement de l’exercice. Le défi est réel : peu de concurrents nous ont précédés, la piste est à peine marquée, et nous n'avons aucun camarade en vue pour donner un cap. Seul dans les bois, il faut compter sur soi-même… et les mots de Sanders, entendus la veille, me reviennent en mémoire comme un fil conducteur : “Si la prochaine balise (bifurcation) n’a pas de sens, alors fais demi-tour jusqu’à la dernière que tu as validée.”

Nous arrivons heureux à l’hôtel. La fin de journée reprend son rituel : contrôle de la moto, douche, repos et atelier d’écriture. Demain, nous prendrons de l’altitude pour dormir à la station de ski de Rânca.

Le débriefing de l’étape précédente révèle que les pistes empruntées appartiennent au tracé de la fameuse « Romaniacs ». Pour le profane, c’est une course d’enduro tout-terrain; l’une des plus redoutables d’Europe, dont les portions extrêmes ne se livrent qu’au plaisir des plus braves.

La veille au soir, en conversant avec mes compagnons de jeu – et avec ceux qui avaint déjà affronté les pistes du Portugal – il apparaît que ce que l’on qualifie ici de « normal » relève en réalité de l’extrême. Voilà pourquoi, hier, le cabotage plaisant de fin de journée hier se fit quasi seul car la plupart des participants avaient filé directement à l’hôtel après le déjeuner.

Remonté comme une pendule, je choisis de rejoindre le groupe 2, décidé de me contenter de la piste « normale », et laisse au groupe 3 – réduit à deux survivants – le soin de poursuivre leurs pitreries ardues.

L’organisateur, prévoyant, a décliné l’itinéraire « normal » en une version « easy ». Mon groupe suit le « normal » avant de conclure par le « easy ». Vincent, lui, s’élance seul dans le « normal ». Mais dans cette édition du KTM Rally rien n'est « easy ».

Dès les premiers instants, il faut reconsidérer la définition même de la normalité. Nous replongeons dans le même délire que la veille. Le soir venu, les plus aguerris confessent, que cette étape – surtout sa première partie – était « costaud ».

À peine partis, le camarade qui me précède exécute une cabriole spectaculaire : retour par la route et abandon pour le reste de l’épreuve. Je prends les devants pour prévenir Nina, notre cheffe de file, que le groupe accusera du retard. Même en cravachant, la rattraper, c'est mission impossible. Il a fallu qu’elle s’arrête pour que j'arrive à la rejoindre! Elle me demande de l’attendre au sommet de la colline. Cette remise en jambe, déjà éprouvante, n’est qu’un échauffement. L’avenir me réserve bien pire!

Raf, un Allemand de mon âge, affûté et excellent pilote, me rejoint. Ensemble, nous gravissons cette maudite colline. Dans un passage étroit, l’embouteillage nous contraint à patienter. Nous doublons au passage quelques participants en perdition. Puis vient mon tour de tomber, tel un maladroit cabaud, entre le talus et une ornière. Je peine à m’extraire de cette situation, jusqu’à ce que Raf m’offre son renfort salvateur. Certains rebroussent chemin : un petit parfum de Bérézina flotte dans l’air...

La montée, sérieuse, nous mène enfin au sommet. Le temps s’égrène. Un message de Nina nous enjoint d’attendre ; le groupe finit par nous rejoindre, déjà réduit à cinq âmes. La piste s’ouvre alors sur un panorama splendide, elle est roulante presque apaisante : le calme avant la tempête.

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Nous replongeons dans les bois pour basculer de l’autre côté de la vallée. Là, en montée dans un goulet, en montée, je bats un record : trois chutes en trente mètres. Même sur des skis, je n’ai jamais accompli pareil exploit. À la première, je coince ma cheville entre la moto et une pierre ; heureusement, la botte fait office de rempart, mais l’hématome promet d’être somptueux. À ma troisième cabriole, épuisé, je cède ma monture à Nina pour les cinquante ultimes mètres du raidillon. Le secret pour s’extirper de ce piège ? Abaisser l’assistance électronique de 6 à 4. Un ami de Raf me tend une barre protéinée : pour retrouver un peu d’énergie.

Une fois l’obstacle franchi, tout semble plus facile. Raf brise son levier d’embrayage, qu’il remplace au milieu de la « pampa ». A leur tour, mes camarades exécutent quelques cascades invraisemblables. Enfin, nous rejoignons la piste « easy ». Pour moi, c’est l’éclaircie : calé derrière Nina, nous avançons à bon rythme. Cette championne possède une aisance déconcertante : un pilotage d’une pureté rare. L’âge, l’entraînement ou la condition physique ne sont que de simples prétextes – c’est la classe, le travail et le talent en action.

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Le plus intéressant est d’entendre Vincent me confier que la descente vers le repas lui est apparue éprouvante. Après avoir traversé l’enfer, j’ai trouvé cette section certes exigeante, mais nullement extrême. Dans tous les cas, « easy » n’est pas la bonne étiquette.

Notre petite armée de combattants cabossés et exténués atteint le déjeuner quarante-cinq minutes avant la fermeture du point “lunch" ... ou avec une heure quarante-cinq de retard, selon le point de vue. Peu de mots s’échangent tout est dans le regard – nous sommes debout c’est déjà bien ! L’essentiel est de reprendre des forces.

Après le repas, nous empruntons la Transalpina jusqu’à Ranca. Sur le tarmac, je suis Nina qui mène un train d’enfer au guidon de son 390. J’admire l’adhérence de nos pneumatiques 100 % tout-terrain sur l’asphalte. La récréation terminée, Toni est au sommet de sa forme; moi, je compte mes ecchymoses et mes traumatismes. L'atelier mobile de KTM est aussi bien occupé à panser les maux des motos. Demain promet un réveil ... épique.

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Le matin, le réveil est, comme prévu, d’une intensité épique. J’ai l’impression d’avoir quatre-vingts ans et qu’un train m’a roulé dessus. Ce sont surtout mes jambes qui protestent, lourdes et douloureuses. Ma cheville gauche, un peu en désordre, me rappelle ses limites à chaque pas. Mais qu’importe : « du sang orange coule dans mes veines - le sang des braves ! » — Orange est la couleur emblématique de KTM.

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Le réveille est précoce. Dans le silence encore fragile du jour, j’ai même le loisir de prendre une photo, du soleil s’élevant au-dessus de la ligne de crête. Le dernier concurrent doit s’élancer à 7 h 30 au plus tard. Cent cinquante-six kilomètres sont au programme. Départ à 7 h 30, arrivée prévue pour le déjeuner à Sibiu : une perspective presque irréaliste. L’essentiel est d’avancer, et, selon la fatigue, je déciderai ou non de suivre la route directe.

L’air, en haut de la Transalpina, est d’une pureté cristalline. Le paysage se déploie ici dans une splendeur rare — un privilège inestimable, car la montagne, capricieuse, n’offre pas toujours un tel visage. Plus bas, dans la vallée, la fraîcheur nocturne n’a pas encore cédé aux caresses du soleil, et l’acceuil avec quatre degrés est saisissant. Les poignées chauffantes deviennent alors un luxe auquel je m’abandonne sans remords.

Après quatre-vingts kilomètres, l’énergie me quitte. Déjà, le voyage du retour s’invite dans mes pensées. Inutile de tenter le diable : je rejoindrai directement Sibiu par la route.

La zone du « lunch » recèle aussi l’ultime attraction : « la montée de la mort ». Une butte de terre, haute d’une centaine de mètres, se dresse là, avec une inclinaison de quarante-cinq degrés, voire davantage sur sa partie sommitale. Comme le dit Johnny Aubert : « Si tu veux atteindre le sommet, il faut avoir décidé de te faire mal. » Je n’irai pas vérifier la véracité de ses propos.

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Le bilan de cette édition repose sur deux piliers. D’abord, l’infrastructure mise en place par KTM : parfaitement huilée, efficace, qu’il s’agisse, des repas, de la mécanique, du support médical, de l’encadrement ou de la logistique. Ensuite, l’entraide et la passion partagée entre les participants, qui confèrent à l’événement une chaleur humaine rare.

À cela s’ajoute un facteur imprévisible : la météo, qui s’est montrée divine. La même épreuve sous la pluie eût été impensable. Enfin, une comparaison s’impose avec le Portugal : le niveau requis ici s’est révélé bien supérieur à mes capacités. C’est là tout le dilemme des organisateurs : satisfaire à la fois les plus aguerris, exigeants dans leur quête de défis, et ceux qui cherchent avant tout à épicer leurs voyages. J'ai su pousser mes limites un peu plus loin et m'enrichir de nouvelles expériences.

Le matin est consacré au chargement des bagages, tel un navire prêt à lever l’ancre. Les adieux s’égrènent, serrés ou fugaces, avant que mes roues ne se tournent résolument vers l’ouest. Les contreforts à l’ouest de Sibiu franchis, la route se déploie soudain sur une plaine interminable, si plate qu’elle en devient vertigineuse; le grenier de la Roumanie, aux champs gorgés de blé et de maïs, s'étirent jusqu'à l'horizon.

Le soleil y cogne avec une intensité insolente : trente-six degrés. Cependant, un vent rageur fouette l’air comme pour brasser cette fournaise et la rendre respirable. Toni, fidèle monture, fend la bise sans faiblir, révélant des ressources insoupçonnées.

L’autoroute file droit puis s’interrompt soudain, remplacée par une nationale qui rompt le rythme lancinant avant de céder la place à une nouvelle section asphaltée qui mène à Timișoara. Mes passages, ces dernières années, révèlent à chaque fois un tronçon supplémentaire; dans dix ans peut-être, cette longue ligne de bitume sera-t-elle enfin achevée.

Immergé dans cette plaine qui s’étend jusqu’en Serbie, le contraste avec le sud de la Transylvanie se creuse. La frontière serbo-roumaine est franchie comme un simple trait de crayon sur une carte. Une fois en Serbie, les maisons sont basses, carrées, coiffées de toits à deux ou quatre pentes ; elles rappellent certaines demeures vendéennes. La plaine s’étend comme un drap tendu. Les habitants, nombreux à vélo, donnent au paysage un parfum de Pays-Bas — mais sans la densité urbaine. Les champs dominent ; les routes, sont tracées au cordeau par un urbaniste armé de règle et d’équerre, et coupent l’horizon en lignes droites. Une quiétude palpable émane de ces lieux : reposante, presque suspendue. De ce côté de la frontière, les cultures, toujours agricoles, glissent subtilement vers l’exploitation fruitière et vinicole.

Les forges de Belzébuth continuent d’attiser un air de plus en plus sec. Depuis l’aube, j’ai absorbé près de quatre litres d’eau — aussitôt transpirés !

La halte du soir se fera à Subotica. Le confort de l’hôtel est le bienvenu : la chambre, vaste et climatisée, devient un refuge égoïstement savouré pour une nuit réparatrice. Demain, une grande étape m’attend vers la Slovénie. On annonce de la pluie, et aucun itinéraire optimal ne se dessine encore. La nuit, comme toujours, portera conseil.

Je quitte mon cocon, l’hôtel Artist, havre de quiétude et de création. Il porte son nom comme une promesse tenue : chaque mur, chaque recoin respire l’art. Tableaux, sculptures, installations discrètes ou audacieuses, tout ici semble dialoguer avec l’expression artistique. Le petit déjeuner, sans faste inutile, célèbre l’essentiel : des produits du terroir, des saveurs locales, une sincérité gourmande.

Je prends la route vers la frontière croate, avec la traversée du Danube comme objectif. À Batina, le fleuve est déjà majestueux, imposant sa présence, sa frontière naturelle entre les deux pays. Des barges glissent sur ses eaux, témoins d’un commerce actif et toujours en mouvement.

Le dilemme du jour est météorologique : le ciel est limpide jusqu’à la frontière croate, et je tergiverse sur l’itinéraire à suivre. Mais bientôt, la pluie s’invite, d’abord timide, puis franche et drue lorsque je m’engage sur l’autoroute vers Osijek. Jusqu’à Stružani, elle devient intense, une véritable compagne de route! À l’approche de Zagreb, le ciel se fait enfin plus clément.

La plaine qui s’étend vers la capitale tranche avec celle du Danube : ici, le vert domine, éclatant, généreux. Les tournesols dressent encore leurs têtes dorées, là où, plus à l’est, ils sont noircis par le soleil. Le maïs, le blé semblent, eux aussi, respirer encore, les moissons n’ayant pas encore été entamées. La transition est saisissante, presque brutale, entre l’influence adriatique et le souffle continental de la plaine du Danube.

La météo s’adoucit, et, fort de mes kilomètres avalés, j’envisage une arrivée par le nord, à Laško, pour y passer la nuit. L’idée de quelques lacets de montagne me séduit, une once de distraction dans cette journéee de transition. Mais les nuages s’amoncellent, menaçants, et je me ravise. Une hésitation inutile, car la route directe m’offre une douche magistrale, puis une immersion totale qui ressemble au rituel d’un baptême orthodoxe.

Malgré ces ablutions involontaires, la montée vers Laško se révèle être un enchantement, même sous cette météo exécrable. Châteaux, églises perchées comme des vigies, rivières bordées de falaises, ponts de pierre ancestraux : un florilège de merveilles qui attestent que la Slovénie sait séduire.

Ce soir, je dormirai à Laško et je dînerai chez Pavus, une halte gastronomique préméditée.

La journée de la veille fut éprouvante, mais il est impossible de passer sous silence ma soirée gastronomique. J’aime la gastronomie, j’aime découvrir, apprécier et honorer ces chefs qui placent la noblesse des produits au centre de l’assiette. Hier soir, ce fut une ode à la cuisine, un hommage à Bacchus. L’art de la table se dresse comme un poème vivant. Alchimie des saveurs qui transforme chaque ingrédient en émotion. La création caresse mon palais et convoque des images oubliées en mémoire. Dans l’assiette, les couleurs dialoguent, les arômes s’enlacent, les textures se répondent. Chaque bouchée devient une divagation, la gastronomie s’élève alors au rang d’art sacré, où le beau et le bon s’unissent dans une étreinte délicate pour mon âme. Même l’addition fut douce comme pour couroner un moment parfait. Je retourne me lover dans mon lit heureux et comblé.

L’adage dit : « Après la pluie, le beau temps ». Bien que cela fût prévu, quel ravissement de revoir l’azur lavé par la pluie et d’être baigné par des températures clémentes. Après avoir graissé la chaîne et procédé aux vérifications d’usage, j’explore la carte pour tracer l’itinéraire du jour, qui me conduira jusqu’aux rivages de l’Adriatique. La route se dessinera au gré de mon humeur joyeuse. Une improvisation divinement lumineuse dans cette Slovénie aux paysages oscillant entre Autriche et Suisse, mais dotée d’une grâce supplémentaire qui en fait une terre exquise.

Les panoramas, la lumière, la météo, les routes virevoltantes : tout s’accorde à l’unisson. Un moment suspendu, où tout se savoure jusqu’à l’ivresse. Même ma conduite s’élève ; parfois, les virages sont si parfaitement négociés que tout devient harmonie : l’appui, la trajectoire, le dialogue subtil entre la mécanique et le pilote. Des instants certes fugaces, mais d’une intensité rare – je jubile.

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Après quelques heures de ce cheval à bascule, ma halte improvisée au café Kavarna Ska se révèle un enchantement. La glace à la figue, confectionnée le matin même, et les gâteaux à la crème pâtissière éblouissent par leur fraîcheur et leur délicatesse. Peu enclin aux douceurs sucrées, je me surprends à savourer ce moment presque « girly », comme dans un salon de thé raffiné.

La Slovénie ensorcelle par ses paysages, sa gastronomie, ses douceurs, et cette impression poignante de propreté, de sérénité et de douceur qui s’imprime au cœur comme un parfum aimé.

Je poursuis ma route et décide de franchir la frontière à Čabar. La route, est soudain plus confidentielle, et réveille en moi le souvenir des postes frontaliers fermés à certaines heures ou certains jours. Nous sommes dimanche : si celui-ci est clos, il faudra entreprendre un long détour. Mon intention est aussi de me ravitailler Toni à la station-service située juste après la frontière. Mon autonomie restante n’excède pas cinquante kilomètres. Ce détour forcé pourrait, à sa manière, devenir une expérience stimulante.

pic Par cette route étroite et pentue, j’atteins enfin le poste frontière qui ressemble davantage à un hangar désert qu’à un lieu de passage officiel. Mais la station-service, elle, est close. Je coupe alors au plus court : mon GPS m’indique un raccourci. Je bénis la qualité de ma monture et l’entraînement acquis lors du KTM Rally. La pente est raide, les virages serrés, la chaussée hésite entre tarmac et terre, souillée par les précipitations abondantes de la veille. Un moment folklorique qui convient d’apprécier seul!

Ma jauge descend inexorablement ; je choisis donc de filer vers Delnice pour me ravitailler. La route qui dévale de Malo Selo à Delnice a tout d’un circuit - un boulevard! Chaque courbe invite à l’arsouille, chaque ligne droite à la griserie. Une fois Toni rassasié, je prends la route directe vers mon hôtel, où m’attendent deux jours de repos bien mérités.

10) 01-02.09.2025 - Opatija - Repos

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Ces deux derniers jours à Opatija, sur les rivages de la Riviera croate, le temps a semblé se dissoudre à l’infini. Face à la mer, je me suis laissé bercer par le murmure des vagues, comme si chaque ressac effaçait les traces de la fatigue de mon corps, alourdi par la dernière semaine intensive. Une paix profonde s’est déposée en moi. Deux jours durant, mon esprit s’est délesté, et je me suis abandonné à la lenteur des heures qui s’étiraient, savourant ce sentiment rare et précieux de me ressourcer.

Aujourd’hui, le programme consiste à regagner le nord de la Slovénie. Traverser ce pays, c’est enivrer son regard de paysages qui se réinventent à chaque tournant. Les collines se parent de verts profonds, les rivières scintillent comme des éclats de cristal, et les montagnes semblent veiller, immuables, sur ce petit paradis aux mille visages. Sous cette météo radieuse, chaque vallée, chaque lac devient un émerveillement. J’avance, le cœur ouvert, happé par cette beauté. La Slovénie est un bijou, terre toujours aussi captivante, dont l’éclat ne cesse de se renouveler.

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Certains jours de voyage s’ouvrent comme des partitions rares, où chaque note trouve sa juste place. Tout vibre à l’unisson : les panoramas slovènes, toujours plus somptueux; les routes qui déploient un spectacle étourdissant ; les torrents aux éclats d’argent et de cristal ; le ciel, parfois semblable à un indigo profond, tel une encre céleste. Tout semble respirer dans une même harmonie, une symphonie d’éléments en parfaite osmose.

Sur l’asphalte, des processions de Harley grondent, convergeant vers le Faaker See à la lisière de la Slovénie et de l’Autriche, pour un grand rassemblement européen. Mais lorsque la route se fait secrète et sélective, comme cette SP42 menant à la jonction de la SR646, la confrérie des Harley s’efface. Dans cette portion de route flottait un parfum de fête foraine, un air de manège rappelant la Schueberfouer.

Ma halte du soir, préméditée de longue date, promet un feu d’artifice gastronomique — de ceux qui marquent une vie. Mais le récit de cette folie, je le réserve au prochain épisode…

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Débriefer l’aventure gastronomique de la veille relève d’une tâche ardue. À ce niveau d’excellence, la gastronomie s’élève au rang d’art majeur. C’est si brillant, si raffiné, si intellectualisé, que mon ancrage ariégeois en ressent un subtil décalage. Le chef rend ici un hommage admirable à la nature et au végétal, tissant des harmonies d’une délicatesse rare. Ici, l’art de la table est un concept total : le service, la cuisine, la chorégraphie des gestes, tout est pensé, étudié, orchestré. pic

Pour que l’ensemble demeure en parfaite harmonie et au service de mets aussi précieux, il faut une imprégnation profonde ; chaque membre du personnel semble habité d’une grâce, d’une féminité, qui parachève la cohérence de l’expérience. Deux approches s’offrent alors : comme pour un grand vin, on peut se contenter d’en admirer l’étiquette, le prestige, et dire « j’y étais, je l’ai fait » ; ou bien, si l’âme est suffisamment élevée, on peut goûter à toutes les finesses offertes. Pour ma part, la marche est haute : le premier restaurant classé que j’avais découvert, au début de mon étape slovène, m’était gustativement plus accessible, tout en demeurant passionnant.

Le petit déjeuner, quant à lui, est une pure merveille : toujours floral, mais sublimé par la qualité des miels, des confitures, des pains. De gourmandise en gourmandise, il faut presque s’arracher à cet endroit singulier, que les connaisseurs placent parmi les cinquante meilleures tables du monde.

Je redescends vers Udine, qui m’accueille dans la tiédeur d’une douceur estivale, vingt-sept degrés au thermomètre. Puis je poursuis ma route vers les Dolomites. Le spectacle que m’offrent ces montagnes demeure, inlassablement, une source d’émerveillement.

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Je choisis de rester sur le versant italien : la météo, côté autrichien, s’annonce tourmentée. L’arrivée par le col, suivie de cette autoroute sinueuse et périlleuse menant à Innsbruck par le sud, se révèle éprouvante. À la bascule vers la vallée, le mercure chute à sept degrés ; un vent tempétueux fouette la route. Je m’interroge : dois-je chercher abri ou poursuivre ? Toni, mon fidèle destrier, tient bien la route — toute la route !

Peu à peu, la tourmente s’apaise. Trois cents mètres au-dessus de moi, les sommets se parent d’un voile de neige fraîche. L'idée de passer par Sölden (Passo del Rombo / Timmelsjoch 2474m) était une douce folie. À une trentaine de kilomètres d’Innsbruck, je marque une brève halte, avant de décider, avec une pointe de soulagement, de passer la nuit à l’hôtel le plus proche.

La nuit a lavé les premiers affronts de l’hiver, effaçant d’un voile élégant cette infamie. La route du jour s’annonce exquise, promesse d’horizons clairs et de cols majestueux entre l’Autriche et l’Allemagne. Je saisis cette aubaine météorologique pour m’élancer, porté par un ciel indulgent. Toni, affûté comme jamais, dévore les virages avec la gourmandise d’un enfant face à des friandises.

La vallée du Danube s’ouvre ensuite devant moi, avant que ne se dresse l’ombre profonde de la Forêt-Noire. Là, la route se fait danse, une farandole qui s’achève à Offenburg. Mon périple, long de sept cent huit kilomètres, trouve son épilogue sur l’autoroute, jusqu’aux portes de Luxembourg.


Conclusion

Le rallye fut d’une âpreté presque mythique, éprouvant le corps et l’âme jusqu’à leurs limites. Pourtant, portée par l’élan d’une monture d’exception, j’ai pu savourer chaque instant de cette épreuve, et j’en ressors plus aguerri, comme trempé dans un métal plus dur. L’an prochain, sans l’ombre d’un doute, je reprendrai la route vers une nouvelle aventure.

Ce qui m’a frappé, au-delà des paysages et des pistes, c’est la ferveur des participants, leur engagement total, cette fraternité forgée dans la poussière et la fatigue. Tous partagent un amour viscéral de l’aventure, une volonté farouche de surmonter les obstacles, avec la certitude intime que nos machines portent dans leurs entrailles un ADN façonné pour la rudesse de terres hostiles. Elles chutent, se rayent, se cabossent ; elles s’ornent de cicatrices qui sont autant de trophées. Nous portons fièrement ces marques tribales : nul besoin de les polir ou de masquer, ici, la fonction prime sur l’apparat, l’essentiel est d’avancer, sans faillir.

Je revois, au deuxième jour, ce pilote qui, à l’heure du repas, avait plongé dans une mare de boue. De la tête au pied, tout son flanc droit était pétri d’argile. Assis là, mi-statue de glaise, mi-homme, il déchirait de ses doigts sa charcuterie, heureux, sans le moindre embarras, vivant pleinement l’instant et prêt à repartir sitôt la pause achevée.

La légende veut que ce pilote KTM ait du sang orange dans les veines, qui lui conférerait force et endurance. Galéjade, sans doute, mais il est vrai qu’en lui brûle un esprit viking, une ardeur guerrière qui anime toute cette troupe flamboyante. Et parmi elle, les cinq pour cent de femmes ne sont pas seulement nos égales : elles sont de redoutables combattantes, dignes de figurer au premier rang de cette confrérie.


Conseils & Recommandations

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Tableaux de bord

Ce tableau de bord vise d'enregistrer la consommation de carburant. La consommation de carburant permet de calculer l'empreinte carbone du voyage et de compenser cette dernière. La compensation se fait via des programmes de reforestation. Cette solution est, certes, imparfaite mais c'est un acte concret qui permet d'être conscient des enjeux climatiques et de modestement contribuer à minimiser son impact quand on voyage.

Tableau consommation carburant

Date Index kilomètrique Litres de carburant acheté Coût € Commentaire
23.08.2025 34,67l 50,51€ LU - Départ en voiture avec remorque
23.08.2025 27,55l 43,50€ DE
24.08.2025 43,74l 70,51€ (27902 FL) H
24.08.2025 31,30l 47,49€ (240,07 LEI) RO - Voiture
25.08.2025 14.605 10l 16,30€ (82 LEI) RO - Moto - SP100
27.08.2025 14.753 11,84l 17,60€ (88,68 LEI)
28.08.2025 14.973 11,30l 17,75€ (90,06 LEI)
29.08.2025 15.194 12,14l 20,31€ (103,06 LEI) SP100
29.08.2025 15.470 15,99l 26,33€ (3085,1) SRB
30.08.2025 15.685 11,81l 18,07€ HR
30.08.2025 15.918 15,31l 25,40€ SLO SP100
31.08.2025 16.201 15,35l 28,55€ HR SP100
03.09.2025 16.474 15,20l 25,17€ SLO SP100
05.09.2025 16.742 15,19l 25,81€ IT
05.09.2025 16.937 10,48l 18,75€ IT
06.09.2025 17.196 13,41l 23,72€ DE SP102
06.09.2025 17.488 16,06l 26,00€ DE

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