Le débriefing de l’étape précédente révèle que les pistes empruntées appartiennent au tracé de la fameuse « Romaniacs ». Pour le profane, c’est une course d’enduro tout-terrain; l’une des plus redoutables d’Europe, dont les portions extrêmes ne se livrent qu’au plaisir des plus braves.
La veille au soir, en conversant avec mes compagnons de jeu – et avec ceux qui avaint déjà affronté les pistes du Portugal – il apparaît que ce que l’on qualifie ici de « normal » relève en réalité de l’extrême. Voilà pourquoi, hier, le cabotage plaisant de fin de journée hier se fit quasi seul car la plupart des participants avaient filé directement à l’hôtel après le déjeuner.
Remonté comme une pendule, je choisis de rejoindre le groupe 2, décidé de me contenter de la piste « normale », et laisse au groupe 3 – réduit à deux survivants – le soin de poursuivre leurs pitreries ardues.
L’organisateur, prévoyant, a décliné l’itinéraire « normal » en une version « easy ». Mon groupe suit le « normal » avant de conclure par le « easy ». Vincent, lui, s’élance seul dans le « normal ». Mais dans cette édition du KTM Rally rien n'est « easy ».
Dès les premiers instants, il faut reconsidérer la définition même de la normalité. Nous replongeons dans le même délire que la veille. Le soir venu, les plus aguerris confessent, que cette étape – surtout sa première partie – était « costaud ».
À peine partis, le camarade qui me précède exécute une cabriole spectaculaire : retour par la route et abandon pour le reste de l’épreuve. Je prends les devants pour prévenir Nina, notre cheffe de file, que le groupe accusera du retard. Même en cravachant, la rattraper, c'est mission impossible. Il a fallu qu’elle s’arrête pour que j'arrive à la rejoindre! Elle me demande de l’attendre au sommet de la colline. Cette remise en jambe, déjà éprouvante, n’est qu’un échauffement. L’avenir me réserve bien pire!
Raf, un Allemand de mon âge, affûté et excellent pilote, me rejoint. Ensemble, nous gravissons cette maudite colline. Dans un passage étroit, l’embouteillage nous contraint à patienter. Nous doublons au passage quelques participants en perdition. Puis vient mon tour de tomber, tel un maladroit cabaud, entre le talus et une ornière. Je peine à m’extraire de cette situation, jusqu’à ce que Raf m’offre son renfort salvateur. Certains rebroussent chemin : un petit parfum de Bérézina flotte dans l’air...
La montée, sérieuse, nous mène enfin au sommet. Le temps s’égrène. Un message de Nina nous enjoint d’attendre ; le groupe finit par nous rejoindre, déjà réduit à cinq âmes. La piste s’ouvre alors sur un panorama splendide, elle est roulante presque apaisante : le calme avant la tempête.
Nous replongeons dans les bois pour basculer de l’autre côté de la vallée. Là, en montée dans un goulet, en montée, je bats un record : trois chutes en trente mètres. Même sur des skis, je n’ai jamais accompli pareil exploit. À la première, je coince ma cheville entre la moto et une pierre ; heureusement, la botte fait office de rempart, mais l’hématome promet d’être somptueux. À ma troisième cabriole, épuisé, je cède ma monture à Nina pour les cinquante ultimes mètres du raidillon. Le secret pour s’extirper de ce piège ? Abaisser l’assistance électronique de 6 à 4. Un ami de Raf me tend une barre protéinée : pour retrouver un peu d’énergie.
Une fois l’obstacle franchi, tout semble plus facile. Raf brise son levier d’embrayage, qu’il remplace au milieu de la « pampa ». A leur tour, mes camarades exécutent quelques cascades invraisemblables. Enfin, nous rejoignons la piste « easy ». Pour moi, c’est l’éclaircie : calé derrière Nina, nous avançons à bon rythme. Cette championne possède une aisance déconcertante : un pilotage d’une pureté rare. L’âge, l’entraînement ou la condition physique ne sont que de simples prétextes – c’est la classe, le travail et le talent en action.
Le plus intéressant est d’entendre Vincent me confier que la descente vers le repas lui est apparue éprouvante. Après avoir traversé l’enfer, j’ai trouvé cette section certes exigeante, mais nullement extrême. Dans tous les cas, « easy » n’est pas la bonne étiquette.
Notre petite armée de combattants cabossés et exténués atteint le déjeuner quarante-cinq minutes avant la fermeture du point “lunch" ... ou avec une heure quarante-cinq de retard, selon le point de vue. Peu de mots s’échangent tout est dans le regard – nous sommes debout c’est déjà bien ! L’essentiel est de reprendre des forces.
Après le repas, nous empruntons la Transalpina jusqu’à Ranca. Sur le tarmac, je suis Nina qui mène un train d’enfer au guidon de son 390. J’admire l’adhérence de nos pneumatiques 100 % tout-terrain sur l’asphalte. La récréation terminée, Toni est au sommet de sa forme; moi, je compte mes ecchymoses et mes traumatismes. L'atelier mobile de KTM est aussi bien occupé à panser les maux des motos. Demain promet un réveil ... épique.
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